de JDV pour SM BTIM*

 * Jean Didier Vincent pour Siné Mensuel : "Baisez et Tout Ira Mieux"


Jean-Didier Vincent est décédé au tout début de ce mois, il était neurobioligiste et neuropsychiatre il a publié plusieurs écrits bref, ce n'était pas la moitié d'un con !

Après avoir lu un entretien qu'il avait accordé voilà dix ans à la revue Siné Mensuel, je me suis permis de faire un copier/coller et de vous le proposer, bonne lecture et tout ira mieux...







Pourquoi vous êtes-vous intéressé au couple ?

Pour me venger, un peu, de ma dernière épouse.

Votre livre est pourtant une ode à l’infidélité.

Ce n’est pas une ode à l’infidélité, c’est un chant d’amour à l’amour. Les animaux, comme les humains, ne pensent qu’à ça, mâle et femelle. Pour moi, ce qui dirige la vie, c’est le désir, au sens de Schopenhauer, « tout est désir », et avec comme corollaire les deux clowns shakespeariens, le plaisir et la souffrance, jouir le plus possible et éviter de souffrir. Goethe parle très bien de la chimie de l’amour. Dans Les Affinités électives, il utilise des symboles chimiques : A rencontre B, cette attirance réciproque va être perturbée par l’arrivée de C qui va détourner A de B. Cela se passe exactement comme ça dans la vie, dans notre corps, dans notre organisme qui utilise de puissants neurotransmetteurs de plaisir, la dopamine et la sérotonine.

Et ce désir de plaisir existe dès l’origine de l’homme ?

Bien sûr. Je m’extasie sur la vie paléolithique qui ne connaissait pas la hiérarchie. Il n’y avait pas de mariage, pas de sacrement. Cela commence à se gâter au néolithique, quand les hommes prennent le pouvoir, que la femme devient objet de possession et que, pour la garder, on invente des interdits. La propriété provoque décroissance, désorganisation.

Pendant la préhistoire, le sexe, c’était comment ?

Il existe une iconographie réaliste réalisée par des artistes qui ne dessinent pas que des animaux. On trouve un homme en érection, des scènes de sexe, de sodomie, de bestialité. Les statuettes du paléolithique montraient des femmes pas extraordinairement sexy, mais qui ont l’essentiel de l’objet sexuel : des seins et de magnifiques paires de fesses qui sont le propre seulement de la femme.

Mais les cochons, ils ont aussi de belles fesses !

Non, ce ne sont pas des fesses, ce sont des culs, avec des parties génitales très apparentes. La femme, en accédant à la position debout, dissimule son sexe entre ses jambes. Et devient, ainsi, cet objet terriblement désirable. Les choses sont bien faites. L’homme porte sa graisse surtout autour du ventre, c’est une besace. Quand il part en expédition pour chasser, il emporte son déjeuner avec lui dans son ventre et ses graisses vont se mobiliser très rapidement. Celles des femmes sont des graisses à mobilisation lente, destinées à nourrir le fœtus pendant neuf mois. La femme a une graisse qui lui sert, son corps est un immense garde-manger mais à usage personnel. Quand j’en parle, j’en suis toujours ému.

Vous rendez un hommage appuyé aux animaux. Ils ont une sexualité dont nous devrions nous inspirer ?

En abordant les pratiques des animaux, vous avez toutes les formules d’accouplement imaginables et vous vous rendez compte de la proximité entre eux et nous. Comme eux, nous ne pensons qu’à cela, nous faisons preuve d’inventivité dans l’accouplement avec une femelle et un mâle ; hétéro, homo (position dite hétérotypique entre animaux du même sexe, plus de 2 000 espèces) ou encore trans, sado, maso, couple à trois, échangiste, fidèle, volage, tendre et violent...

Y a-t-il des animaux fidèles ?

Le cloporte, par exemple, le seul crustacé terrestre. Quand un cloporte vivant dans le désert trouve une femelle qui passe par là, il se la garde et ils peuvent vivre trente ans ensemble. Le poulpe est également fidèle, peut-être parce qu’il ne danse et ne copule qu’un seul été. Sa vie est trop brève, à peine trois ans. C’est extraordinaire un poulpe ! Il a des yeux, un super cerveau et huit bras extrêmement habiles. Le numéro 3 est son instrument sexuel dont il va se servir pour féconder la femelle. Il prend son sperme puis va le fourrer dans l’endroit adéquat de la femelle. Il communique avec elle puisqu’ils chassent ensemble, qu’ils s’occupent de leurs œufs fécondés, les installent au bord de leur grotte, les ventilent, les hydratent. Une vie de poulpe, c’est une vie honorable. Les hippocampes sont merveilleux. Il existe une conjugalité chez eux. Accrochés par la queue, ils valsent. Au bout d’un certain temps, la femelle empaquette ses œufs, les transmet à son mâle qui les prend à son tour, les féconde et les couve à l’intérieur de son ventre. Il est donc à la fois père et mère. Quand  ils se trouvent, ils dansent, ils ne pensent pas. C’est peut-être aussi bien. L’hippocampe est pour moi un modèle qu’il faudrait suivre. Mais les poissons sont quand même de drôles de zèbres, s’accouplent en se dispersant, changent de sexe. Les gobies, par exemple. À un moment donné, par adaptation, les mâles deviennent femelles.

Certains animaux ont des stratégies très élaborées pour plaire, comme l’amblyornis, qui est pourtant moche.

Il n’est pas moche, il est de la famille des oiseaux de paradis, mais c’est le seul qui est gris alors que les autres ont des couleurs chatoyantes. Pour plaire, il a trouvé la solution : il se fait architecte. Au milieu d’une clairière, il construit un petit jardin, style Versailles, avec des petites pierres brillantes, sur lequel il bâtit une maison avec un toit. Le tout attire beaucoup les femelles tombées sous le charme. Chez les oiseaux, la beauté appartient aux mâles. La merlette est grise et le merle est beau, noir avec son bec jaune. Mais la beauté n’empêche pas les bizarreries. Ainsi le magnifique cygne noir australien a des accouplements étranges. C’est le couple à trois : une femelle et deux mâles. La femelle fait son œuf – point barre –, les deux mâles la nourrissent, il y en a un qui couve et l’autre qui va faire les courses. Cela fonctionne très bien.

Au fait, les animaux ont-ils du plaisir ?

C’est la grande motivation universelle, le désir, la flèche d’Éros. Quand un crapaud est accroché à sa crapaude, c’est une violente passion.

Vous parlez de la compétition spermatique, qu’est-ce que c’est ?

La compétition spermatique a été découverte il y a seulement cinquante ans par un grand savant britannique, Geoff Parker, à partir de « la mouche à merde » (Scathophaga stercoraria) qui a permis de comprendre le phénomène. Les mâles n’ont qu’une obsession : déposer leurs spermatozoïdes. Le problème, c’est qu’il y en a deux ou trois millions et que la femelle n’a qu’un œuf, voire deux. Cela provoque une bataille entre les spermatozoïdes qui veulent être les premiers dans la course à l’échalote. La question est : quel mâle gagnera ? Beaucoup d’animaux ont résolu ce problème. Comme le mâle Scathophaga stercoraria qui est capable de chasser la semence d’un autre pour placer la sienne, le mâle libellule, grâce à son sexe en forme d’écouvillon, enlève le sperme d’un concurrent avant de placer le sien. Chez les oiseaux notamment, l’accenteur mouchet (Prunella modularis) fait une petite danse et picote le trou de balle de sa femelle qui finit par éjaculer et expédier le sperme d’un autre. Il va pouvoir passer sa propre semence dans ce sexe devenu très appétissant. La compétition spermatique règne partout.

Même chez les humains ?

Les contrôles génétiques ont montré que quand il y a à la fois le sperme de l’époux et celui de l’amant, c’est ce dernier qui gagne très souvent. On sait que chez la femelle humaine, il y a un dispositif  incroyable. Les hommes, en matière d’anatomie sexuelle de la femme, sont quand même de gros idiots. « Où est le clitoris ? Qu’est-ce qu’il fait ? Comment il est ? » Beaucoup n’en savent pas grand-chose. Quand il s’agit du fond du vagin à l’entrée de l’utérus d’une femme, on est dans l’ignorance la plus totale. Or dans l’orgasme, la femme a la possibilité de manœuvrer ses contractions. Certaines jouent avec leur vagin comme avec une flûte. Elles peuvent donc trier les spermes et mettre de côté celui de l’amant et rejeter de façon radicale celui du mari.

On n’est pas maître de son désir.

Bien sûr que si, mais le désir est roi. Si on perd le contrôle, c’est la faute à l’ocytocine qui est l’hormone libérée au cours du coït. Elle est aussi celle de la lactation, mais libérée dans d’autres neurones, elle va provoquer l’attachement, changer la réception des odeurs. Prenez une brebis qui refuse un agneau qui n’est pas le sien. Pour qu’elle l’accepte, on lui fait une stimulation vaginale avec une éponge. À ce moment, elle va sécréter de l’ocytocine et être dans le même état que si elle avait accouché de ce néo-enfant qu’on lui présente. Élever un petit d’une autre espèce n’est pas rare chez les animaux. Dans ma singerie, il y avait une guenon qui avait adopté un rat qu’elle avait volé à un chercheur. Elle entretenait son instinct maternel en ayant quelque chose de chaud sur la poitrine.

Contrairement à d’autres, vous ne faites guère de différence entre le sexe et l’amour.

L’amour commence par la sexualité et continue par la sexualité. Sexe et amour, c’est pareil ou presque. L’amour prend naissance dans l’instinct sexuel et arrange les sentiments à la sauce cortex. On peut broder à l’infini mais on retombera toujours sur cette évidence : tout est sexuel. La meilleure façon de garder un conjoint, c’est de faire l’amour. Chez les ouistitis, par exemple, dès que la femelle se voit menacée par la présence d’une rivale, elle va prendre le mari et hop, cric-crac ! Elle sait que le secret pour conserver son mâle, c’est de ne pas le laisser chômer.

Pourquoi dites-vous que l’homme n’est pas naturellement monogame ?

Certaines tribus océaniennes n’ont pas de sentiment de propriété vis-à-vis de l’autre, car ils ne connaissent tout simplement pas la propriété. C’est elle et les normes sociales qui conduisent à des abus, des rivalités de pouvoir, à ce contrôle que prennent les prêtres sur la sexualité des humains. Des types comme saint Augustin et saint Paul, qui sont les premiers ayatollahs, tapent essentiellement sur la sexualité. Les pères de l’Église vont jusqu’à se châtrer. Et châtrer les autres, comme Abélard qui a perdu les bourses et le pénis. Après, il change, il devient ce grand philosophe, il est pur esprit pratiquement. C’est un peu gênant quelquefois, la sexualité, quand on veut travailler.

Vous faites allusion aux opposants au mariage pour tous…

Je me suis retrouvé au Trocadéro, les pères de famille sont hyper classiques, raides. Les mères portent des jupes et des petites socquettes. C’est la famille enfermée dans un rituel bourgeois. Ces gens-là me dégoûtent. Et, plus généralement, le mariage me donne la nausée. Et dire que certains l’ont voulu pour tous !

Vous avez noué une grande amitié avec Nénette, un orang-outan du Jardin des Plantes.

En général, les orangs-outans sont sans relation de couple. Mais un beau mâle est arrivé et Nénette a eu le coup de foudre. Il s’est laissé entraîner. Ils ont adopté des petits orangs-outans, il est mort anesthésié et Nénette est devenue une veuve inconsolable. C’était une grande dame qui avait la nostalgie du couple. Mes copains allaient se faire psychanalyser chez Lacan et, moi, j’allais voir Nénette. À l’époque, il n’y avait pas de vitres, je pouvais lui envoyer des cacahouètes et ça ne me coûtait pas très cher. Puis, il y a eu un contre-transfert : un jour, elle m’a tourné le dos et m’a montré ses fesses, ce qui pour un analyste est le signe que l’analyse est terminée.

Vous avez eu également une histoire avec une femelle bonobo.

Les femmes bonobos sont très amicales, règlent la vie sociale, sont disponibles. Elles sont sensibles au sexe qui est un moyen de régler le fonctionnement de la société. Quand quelque chose va mal, une petite fellation et ça passe. La sodomie, c’est quand c’est plus grave. Un jour, je vais au zoo de San Diego où il y a une trentaine de bonobos, la plus grosse colonie du monde. Je vois dans un coin une femelle un peu tranquille qui prenait le bain du soir. Je dis à ma femme qui m’accompagnait : « Tu vas voir, je vais lui faire une Knuckle Dance et elle va être folle de désir. » Au bout d’un moment, je la vois se tourner vers ma femme et faire pfft !, accablée devant mon ridicule. J’ai réalisé que ces deux femelles s’étaient comprises pour se foutre de ma gueule.


Commentaires

  1. C'était un grand bonhomme, ce monsieur. Un scientifique qui savait se mettre à la portée du béotien. Et avec de l'humour... Qualité que tu partages !
    Quelques grands moments : L'allusion à la fin des psychanalyses, autrement dit le syndrome du cul tourné...et aussi l'épisode avec la bonobelle. Jouissif.
    Merci pour cette lecture. Le titre prêche une convaincue. Partageant la couche d'un plongeur, j'aime bien apprendre des trucs sur les poissons. ;-)
    Bises
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme tu peux l'imaginer facilement Célestine, je n'ai pas une once de surprise à la lecture de ton commentaire circonstancié. L' humour de ce Monsieur, comme tu le dis fait bien passer les "choses" voilà le genre de scientifique avec qui on aimerait partager une heure ou deux, sûr !
      Merci pour la qualité de ton com'

      Bleck

      Supprimer
  2. Agréable discours, rendu boiteux, à l'entame, par un raccourci naturaliste strictement anthropomorphiste (Les animaux, comme les humains, ne pensent qu’à ça, mâle et femelle) ...

    RépondreSupprimer
  3. Un bel hommage que vous rendez là à ce monsieur que je ne connaissais pas avant de vous lire.

    RépondreSupprimer
  4. Je dois absolument vous présenter les 'cigognes de Sarralbe'. Maurice et Mélodie sont filmés en direct 24h/24 depuis leur nid juché sur le toit de la mairie depuis plusieurs années entre janvier et septembre. Couple amoureux, parents attentifs, le modèle parfait !!!

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Plong, et pas plouf...

Monsieur...

Nyctalope ??