La soupe de tortue*
* Jean, la soupe de tortue et bien d'autres choses...
Jean c'était mon oncle, avant, c'était déjà le mari de ma tante qui était la soeur préférée de ma mère. Jean et sa femme n'ont pas eu d'enfants, c'est comme ça.
Jean était ce qu'on peut appeler un drôle de type, à l'exception de mes parents, la famille se foutait un peu de sa gueule... Jean était patron coiffeur, un petit artisan-commerçant c'était un original et moi j'adorais ça... il détestait les automobiles, n'avait jamais passé le permis de conduire "regarde ces cons-là au feu rouge avec le doigt dans leur pif"
Jean était lettré il y avait des bouquins partout chez lui, aucun espace libre des colonnes de livres poussiéreuses partout et c'est lui qui m'a initié à la lecture comme à tant d'autres choses. Jean jouait au PMU, il m'a emmené au champ de courses, Jean était bordélique au possible il ne savait rien ranger mais tu lui demandais un truc et il te le retrouvait dans les deux minutes, Jean ne savais pas bricoler, mais absolument pas. Jean ça ne le dérangeait pas de lire en écoutant la radio avec la télé allumée... Physiquement Jean était déjà un phénomène, le physique typé Africain mais à la peau blanche, personne ne savait d'où ça lui venait, j'irais jusqu'à dire blanc très pâle, grand et maigre, le cheveu noir et crépu... je crois ne l'avoir jamais vu autrement que portant une chemise blanche et une cravate, en toute circonstance.
Je dois à Jean trois jours de promenade à la capitale ! On a pris le train et paf 3 jours tous les deux à visiter Paris je devais avoir 12 ans, et il m'a fait la totale le Louvre, la Tour Eiffel Montmartre, et Pigalle, le Zoo de Vincennes, le musée de l'homme, les petits déj' dans une belle brasserie du 17 ème arrondissement après avoir dormi chez une cousine, une pièce de théâtre dans je ne sais plus quel théâtre... je suis rentré épuisé et émerveillé.
Jean c'est le type qui me filait un billet de dix de temps en temps comme ça, sorti de la caisse du magasin, "tu l'dis pas à ta Tante" Jean m'a offert un disque de Pop comme ça, gratos, "parce que les disques, c'est comme les livres il faut lire de tout" Jean m'offrait des trucs incongrus, étonnants pour éveiller ma curiosité, par ce qu'il sentait que ça percutait avec moi... il m'avait à la bonne et c'était formidable !
Depuis des mois il nous tannait avec sa boite de soupe à la tortue... "faudra qu'on la goûte ma soupe à la tortue" mais la famille n'était pas des plus réceptives... faut dire que Jean, son pêché mignon c'était la tortore, la table, il faisait la cuisine comme un Dieu, bon, ça lui coûtait cher et ça lui prenait pas mal de temps mais tout le monde en profitait...
Lassé des refus des autres un jour il me propose de manger sa soupe à la tortue... comme ça, lui et moi ! Le lendemain midi on s'est retrouvés dans son antre rien qu'à lui, son arrière boutique, un mélange de cuisine d'atelier de bureau et de bibliothèque... un souk pas possible, c'était son chez lui, la maison d'â côté c'était sa maison familiale, là il était chez lui !
Alors il faut que je te dise que sa boutique, sa maison et donc son arrière boutique était située sur un quai maritime et jusque dans les années 40 c'était un bordel... je veux dire que c'était une ancienne maison close et il y avait des restes si je puis dire... l'arrière boutique était à l'époque une salle de billard, les murs étaient recouverts de parements en bois sur lesquels étaient peints des scènes "érotiques" dans les toilettes des graffitis étaient sans équivoque, Jean m'a bien entendu raconté la vie de ces lieux qu'il a bien connus puisqu'il était né dans la maison d'à coté et qu'il n'a jamais quitté le quartier. Et il en a vu le Jean, entre les marins, les Allemands pendant l'occupation et puis les Américains après le débarquement, il m'en a raconté des trucs...
Et on a mangé sa soupe à la tortue... rien d'extraordinaire, j'ai goûté... ça ne m'a pas déplu mais vraiment sans plus, sans intérêt, mais alors Jean pour me remercier de le suivre dans son délire et puis pour sa gourmandise à lui, nous avait préparé un rôti de veau Soubise, c'est tout simplement du veau avec une compotée d'oignons et une sauce béchamel servi avec un vin blanc c'était tout à fait exceptionnel, j'avais une petite quinzaine d'années et j'ai ce repas gravé dans ma mémoire à jamais, une énorme complicité avec ce Jean.
Pas mon père, pas mon grand frère, pas mon grand-père, pas un copain ce n'était qu'un oncle par alliance, on s'aimait beaucoup et nous avons beaucoup ri, c'était Jean !
En parlant de bordel, ça n'a pas fait partie de la visite à Paris ? Ou ailleurs ou à un autre moment ? cadeau de l'oncle Jean.
RépondreSupprimerBastia sur Cotentin
Navré de te décevoir, Bastia sur Cotentin, j'avais 12 ans lors de cette visite de Paris et je dois ajouter que j'avais les yeux bien écarquillés, tout de même.
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Je ne suis pas déçu. Du tout.
SupprimerBastia sur Cotentin
Quel bel hommage!
RépondreSupprimerMerci Nina, Jean le valait bien...
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Bobillet.
RépondreSupprimerMerci petit louis et, la bienvenue ici.
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Où que tu sois, bon anniversaire Jean !
RépondreSupprimerCalvi sur Cotentin
Désolé, j'ai commis une erreur. je voulais écrire : bonne fête Jean !
SupprimerCalvi sur Cotentin
Aucun souci Calvi sur Cotentin, nul n'est à l'abri d'une erreur.
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Quel délicat billet. Merci
RépondreSupprimerTant qu'à faire... n'est-ce pas !
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Un chouette oncle par alliance. Ce billet lui rend bien hommage.
RépondreSupprimerOncle par alliance et beaucoup plus, Madame Chapeau.
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Of course.
SupprimerC'est beau ces moments de transmission qu'il t'a laissés, comme une filiation choisie.
RépondreSupprimerJe crois qu'il y a de ça en effet, Hermione, Jean m'a transmis de jolies choses, souvent je pense à lui aujourd'hui...
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Un portrait très sympathique de l'Oncle Jean.
RépondreSupprimerUn personnage, à coup sûr !!
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Jean était un sacré personnage. Et on a besoin d'avoir ce genre de personnes dans son entourage. Ils nous font grandir, nous inculquent un peu de folie et surtout, une ouverture d'esprit hors norme. Quant à ceux (et celles ) qui se mettent les doigts dans le nez au feu rouge, beurk! :-) Belle journée.
RépondreSupprimerC'est sûr, il vaut mieux attendre que le feu passe au vert ainsi on inflige pas le spectacle aux occupants de la voiture d'à côté...
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Bel hommage à Jean, quelle chance de l'avoir connu ! Je le vois presque tellement tu le décris bien .
RépondreSupprimerAmusant son descriptif physique me fait penser à un oncle à moi, cheveux crépus, yeux verts, nez épaté et peau très blanche, en rigolant nous l'appelions le " nègre blanc ", oui à l'époque ça ne choquait pas ce genre de blague! Mais cet oncle là avait un père réunionnais et une mère blonde à la peau très pâle d'origine allemande.
En dehors de mes parents, Jean est la personne avec lequel j'ai passé les meilleurs moments de mon enfance (et la période de mon enfance à été particulièrement longue) j'ai une foule d'anecdotes à raconter sur Jean, sur ce billet j'ai fait très court...
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Joli souvenir d'enfance, il y a des personnage comme ça qui reste à jamais en nous ;-)
RépondreSupprimerC'est ça Gilsoub et puis beaucoup plus tard, je me suis un peu occupé de lui lorsqu'il a été vieux, juste retour des choses...
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Un drôle de phénomène ce gens, un peu marginal comme je les aime!! Que de bons souvenirs !
RépondreSupprimerEt moi donc ! toutes ces personnes lisses, trop prudentes et armées d'un faisceau de certitudes sont légion et sans grand intérêt.
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Pas son fils , pas son petit frère, pas son petit fils et pas son pote , tu étais son neveu sans tenir compte "du par alliance " . Tu étais un tiot sympa , t'appreciait ,se reconnaissant en toi et t'a transmis tellement ! Un tonton d'enfer !
RépondreSupprimerUne anecdote me revient à la mémoire à l'instant et en lisant ton com' Cinabre. Sa femme était décédée alors qu'il était en maison de retraite je lui rends visite et il me dit "te me ferais plaisir en achetant une bouteille d'un bon Margaux" et il me tend deux billets de 50 Euros.
SupprimerUn après-midi de juillet nous avons dans sa chambre, bu la bouteille de Margaux avec un foie gras tout en regardant le tout de France, très grand moment... nous l'avons enterré en septembre.
Bleck
J' adore cette anecdote. Fêter la vie et ... fuck les emmerdes ! Oui, je me lâche parfois :))
SupprimerCa peut être très chouette, les oncles et tantes. On fait avec eux ce qu'on ne ferait jamais avec les parents. Je dois à un de mes oncles d'avoir tiré avec un Magnum 357 comme Yves Montand et de connaître Pink Floyd et David Bowie. Un été inoubliable, celui de mes 15 ans.
RépondreSupprimerC'est exactement ça Acanthe ! Des trucs pouvant passer pour débiles dans d'autres circonstances mais qui le font grave avec ce type de personnage, il faut simplement que ça "fonctionne" entre les deux personnes...
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Ah comme j'aurais aimé goûter son rôti de veau Soubise moi
RépondreSupprimerValérie de Haute Savoie
Le rôti de veau Soubise Valérie, ça vaut toutes le pâtisseries du monde !!
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Jean, je le vois un peu comme ta vraie référence paternelle, je suis sûre que tu n'as pas vécu ça avec ton vrai père, c'est souvent comme ça, un oncle, ou un ami de la famille, qui prend une place énorme dans la vie d'un enfant, et puis dans les souvenirs que l'on garde de lui. J'imagine l'admiration et le plaisir dans tes yeux de douze ans, découvrant Paris avec cet amoureux de la vie. Parce que je suis désolée mais il n'y a pas d'autres mots : un type qui aime le rôti de veau sauce Soubise, c'est un vrai amoureux de la vie. J'ai adoré ce billet.
RépondreSupprimer•.¸¸.•*`*•.¸¸☆